De l’autorité ou la loi réparatrice

Il fut un temps où l’autorité était dépendante de la souveraineté civile ou divine. Sa dépendance nous la rendait familière et intelligible. Son manque d’indépendance était le gage de sa proximité. Inaccessible sans une médiation, elle cherchait toujours à être comprise.

La formation du nouveau contrat social, ni l’avènement des Temps modernes n’ont remis en cause la nature transcendante de l’autorité : les gouvernements issus des Lumières n’ont fait que laïciser les principes du droit naturel et en ont couvert le monde habité de leurs manteaux protecteurs. C’est ainsi qu’ils imposèrent le Code civil répandu à travers l’Europe par les batailles victorieuses de la Révolution et de l’Empire. Ils avaient de l’autorité une vision sacrée, y déroger était un sacrilège.

La rupture est intervenue plus tard lorsque par un basculement imperceptible et sournois, la loi s’est séparée de ce qui nous la rendait intelligible : « Car cette Loi que je te prescris aujourd’hui n’est pas en dehors de tes moyens, ni hors de ton atteinte (…)  La parole est tout près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur pour que tu la mettes en pratique. » (Deutéronome 30, 11-14). Quoi de plus étranger à cela que nos lois contemporaines qui prétendent exercer une mission originelle en déclarant à chaque fois « refonder » le pacte social. Elles ne sont que les instruments volatils d’un rapport de force et d’une opinion de circonstance.

Ce sont les fondements mêmes de l’autorité de la loi qui sont devenus inintelligibles : plus aucune référence à la permanence, mais un droit de circonstances satisfaisant les exigences de l’opinion. Loin le temps où fut prononcée la promesse du Code civil que « la perpétuité soit dans le vœu des lois ». Plus aucun souci non plus de la généralité, car il est apparu plus aisé pour le Pouvoir en place de satisfaire l’intérêt particulier de l’individu anomique. Comme le rappelle Benny Lévy : « dans la déchéance séculière d’aujourd’hui, trois législateurs peuvent se réunir pour décider le clonage, ou que les enfants peuvent choisir entre le nom du père et celui de la mère. La loi vient du plus bas : de lopinion. Défaite de la loi. () Mais victoire du droit, des droits de lhomme ! ». (in « Le Livre et les livres »)

Nous devons donc retrouver les traces de l’amour de l’autorité, l’agapè de notre origine commune. Et nous saurons alors nous réapproprier notre responsabilité dans la conduite des choses de la cité comme des affaires du monde. Se réclamer aujourd’hui de l’autorité n’a rien à voir avec la dérive « autoritaire » des pouvoirs actuels. La destruction des corps intermédiaires, l’oubli du droit naturel, le souci du divertissement, conduit à balayer implacablement ce que nos funestes dirigeants nomment « les irritants ».

La triste farce du pouvoir contemporain révèle un monde sans Histoire et sans vertu. Les vertus publiques ont de tous temps été impérées par l’autorité et elles nous ont été transmises par la tradition : 

La loi est une nostalgie, lui obéir une réconciliation.

La loi, comme le savoir, prend sa source dans l’origine du monde. Platon l’a fait dire dans le Phédon : « Donc nous sommes d’accord également sur ce point : chaque fois qu’un savoir survient d’une certaine manière, c’est une réminiscence ? »

La recherche d’une identité politique authentique, se situe dans un au-delà de la politique, en référence à des rites et des lois partagées par la communauté qui en hérite et au sein de laquelle l’autorité accomplit une longue œuvre émancipatrice.

Cette recherche non seulement ne s’oppose pas à une attitude fondée sur le sacré, mais elle en est un instrument. La destruction du savoir traditionnel et la perte de sens de nos institutions, même celles qui sont les mieux ancrées dans nos consciences, ont été concomitantes du reflux des religions révélées vers le statut de simples opinions parmi d’autres.

Il faut bien accepter une fois pour toutes que ce refoulement ne soit pas un quelconque « désenchantement du monde » – fut-il lui-même enchanté à un moment donné – mais l’expression d’une violence dirigée contre l’amour de la loi transcendante et naturelle à laquelle nous avions accepté jadis de soumettre notre jugement et notre libre arbitre.

Hannah Arendt conclut en ces termes son essai sur la « crise de l’autorité » : vivre dans un domaine politique sans l’autorité ni le savoir concomitant que la source de l’autorité transcende le pouvoir et ceux qui sont au pouvoir, veut dire se trouver à nouveau confronté, sans la confiance religieuse en un début sacré ni la protection de normes de conduite traditionnelles et par conséquent évidentes, aux problèmes élémentaires du vivre-ensemble des hommes.

[i] Ce vocabulaire qui appartient au langage des sociétés commerciales a fait irruption dans la sphère publique au moment où cette dernière s’abstenait de toute prétention à une quelconque transmission de valeurs. Comme s’il suffisait d’être courtois et attentif aux humeurs de ses concitoyens pour que l’homme d’État estime avoir rempli honnêtement sa mission.

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Philippe Siméon / Fondateur – Contributeur

De longue date épris d’écriture poétique et philosophique, Philippe Siméon en a fait son intime priorité. Activiste culturel et artistique, il a été le fondateur et/ou membre du conseil de diverses et nombreuses associations & ONG internationales dans le domaine de la culture et de l’éducation.

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